Tel était le titre de la conférence donnée par Pierre Tournemire, Président du comité national Laïcité, à l’Université des Savoirs Partagés de Villefranche de Rouergue, en soirée du 10 mars 2009.
Dans le vécu commun, la laïcité est souvent le synonyme d’une démarche contre la religion.Or, si la laïcité s’oppose au cléricalisme, c'est-à-dire à l’imposition d’une religion à un individu qui ne le souhaite pas, elle prône le respect des religions et défend la liberté individuelle de pensée et de conscience.
L’objectif de la laïcité est bien de développer les conditions pour vivre ensemble en harmonie, sans être obligés de penser la même chose.
Jusque vers le milieu du XXème siècle, la laïcité a inspiré des luttes féroces. Aujourd’hui, demeure une confusion : laïcité-gauche contre catholicisme-droite. La peur de l’islam vient ajouter une nouvelle problématique à la laïcité.
Dans de nombreux discours, jusqu’au sommet de l’Etat (Président de la République), la religion est utilisée pour panser (avec un « a ») les plaies des souffrances économiques et sociales. La crise mondiale ne fait que développer cette exploitation. On donne à la religion un rôle social d’apaisement des souffrances, au lieu de mettre en place les services publics adaptés.
La laïcité est bien donc une réponse aux questions du temps présent.
Cinq idées fausses sont à combattre :
1°) La laïcité est opposée aux religions.
Non seulement la laïcité n’est pas opposée aux religions, mais elle les connaît toutes et n’en privilégie aucune. La laïcité défend la liberté pour chacun de pouvoir pratiquer en paix la religion de son choix, sans peser sur ses croyances ou convictions. A ce titre, l’Etat ne peut participer au financement des religions.
En contre partie, la religion n’a pas à interférer dans les affaires de l’état. Elle peut, pour autant, s’exprimer librement sur la place publique, dans la limite de la loi.
Une citation exprime bien ce rapport laïcité-religion : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi n’entend pas dicter la loi ».
L’article 1 de la loi de 1905 précise bien : « L’Etat garantit la liberté religieuse ».
Doivent donc coexister en harmonie et complémentarité :
. une sphère publique : les citoyens en Etat (le politique),
. une sphère privée : la conscience individuelle (le religieux).
2°) La République a imposé la laïcité aux catholiques : elle doit faire la même chose aux musulmans.
Dans ce cadre là, le discours du Président Sarkozy au Latran constitue une déformation flagrante de l’histoire. Sous le régime républicain, la loi n’impose plus un roi et une foi : le pouvoir est passé au citoyen électeur.
Les républicains ont été contraints de s’opposer à la religion romaine qui avait fait le choix, au XIXème siècle, de la réaction ultra conservatrice et de la condamnation de la démocratie, de toutes les libertés. Le ralliement de l’Eglise de France au pape Pie IX illustre bien ce virage ultra conservateur. La République devait donc créer les conditions de séparation de l’Eglise et de l’Etat (Emile Combes).
Heureusement, deux personnalités visionnaires, Jean Jaurès et Aristide Briant, ont œuvré à la pacification sur le principe de la liberté pour tous dans la diversité.Ils ont ainsi amené l’Eglise catholique à se réformer de l’intérieur, à accepter les principes de la République, de la laïcité. Ainsi, ils ont mis fin à la guerre des « 2 France ».
Si nous voulons trouver des solutions à l’islam c’est bien dans le droit fil de J. Jaurès et d’A. Briant. Il convient d’apporter une réponse à la question : « comment vivre avec des gens qui n’ont pas la même culture ? ».
3°) Il n’y a pas de distinction entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel.
La loi de 1905, dans ses principes, s’applique aussi bien aux musulmans qu’aux autres religions. (Si donc) Mais, bien qu’il n’existe aucun problème juridique, il y a bien un problème de mentalités : tout ce qui vient de l’étranger ne peut être assimilé. Ce vécu existe bien, même si, chez nous, les apports historiques arabo-musulmans sont indiscutables.
Face à l’islam, la part de l’évolution de la condition féminine complexifie encore le problème.
La solution ne pourra être trouvée que dans un débat serein et démocratique. Il importe de parler moins des musulmans et plus avec les musulmans !
4°) Le respect de l’égalité en droit des citoyens bloque l’expression de la diversité.
Dans les faits, le citoyen n’est pas abstrait. C’est un homme, il a des convictions et des comportements individuels. Cent ans ont été nécessaires pour reconnaître l’égalité de la citoyenne et du citoyen. Il a fallu construire une unité nationale à partir de peuples très divers (bretons, corses, auvergnats, …) et sans les moyens actuels de communication.
Dans le contexte actuel, l’uniformité se conjugue bien avec les diversités. Les oppositions ont perdu de leurs nuisances.
Toutefois, restons attentifs au vécu de ces diversités : une amicale d’Aveyronnais à Paris est une association très sympathique, une amicale de Portugais c’est du folklore, une amicale de Maliens ou de Maghrébins sera vécue comme du communautarisme avec son côté négatif souligné.
Attention, l’intégration n’est possible que dans le cadre d’une justice sociale stricte. Celle-ci s’impose si l’on veut que les gens participent à une démarche commune. Le débat ne peut être, ici, théorique, abstrait, sur des principes, mais, au contraire, concret, réaliste.
Le discours qui ne prendrait pas en compte les injustices sociales ne serait pas conforme aux exigences de la laïcité. La différence est un fait et non un droit : elle doit être respectée et aucune croyance ne peut être imposée.
5°) La laïcité est une exception française : avec l’Europe, elle n’a donc plus lieu d’être.
Le concept de laïcité n’est pas une exception française, mais une particularité en France.
Ce concept spécifique trouve ses origines dans :
. les guerres de religions : elles ont engendré la tolérance et la cohabitation sans avoir les mêmes convictions (par exemple catholiques et protestants),
. le siècle des Lumières qui a développé l’autonomie des personnes et la pensée.
Nos pays voisins n’ont pas vécu cette histoire et le modèle français n’est donc pas nécessairement transmissible.
Il existe donc des formes diverses de laïcité. Mais l’Europe est culturellement laïque.
La tendance, aujourd’hui, est de donner la primeur à la liberté de conscience plus qu’à la liberté religieuse.
Si la liberté de conscience implique bien la liberté religieuse, le contraire ne se vérifie pas.
Aujourd’hui, les mesures prises par la banque mondiale conditionnent plus le quotidien que les sermons de carême de N.D. de Paris. De même, les médias conditionnent plus l’enfant que l’école.
En conclusion, on peut affirmer qu’aujourd’hui n’existe pas de problème de laïcité institutionnelle mais que, par contre, du chemin reste à parcourir pour résorber les asservissements individuels. L’équilibre demeure fragile entre groupes et individus et chacun a tendance à imposer sa vérité.
La vérité demeure une recherche permanente dans un dialogue constructif enrichissant pour chacun.
Il convient d’oser penser le réel dans la volonté d’écrire l’avenir et la capacité de prendre en compte les différences.
Aujourd’hui, la fracture sociale s’aggrave. « Liberté-Egalité-Fraternité » demeure un concept mais hors du quotidien pour un nombre croissant de citoyens. Quelle est la résonance de ce concept chez les habitants de nos banlieues ? Dans toute réflexion doit être prôné le réel, le concret.
L’enseignement des religions devrait être dans les programmes scolaires. Cet enseignement devrait être historique et non dogmatique, bien entendu. Il avait été intégré par les fondateurs de l’école mais a suscité une opposition farouche de l’Eglise catholique. L’enseignement de « la » religion était de son domaine exclusif. Or, la connaissance des religions est indispensable pour comprendre le monde.
Danièle et Louis Bras