Ils ont fait le déplacement de loin, parfois même de très loin, comme de Perpignan, pour écouter, vendredi soir, Pierre Rabhi. Le chantre de l'agroécologie répondait à l'invitation des Rencontres citoyennes de Rignac et du Centre européen de Conques, les deux associations ayant su mutualiser harmonieusement leurs efforts de persuasion auprès d'un homme très demandé de par le monde. Un total de 1 300 personnes a donc assisté à la conférence de Pierre Rabhi sur le thème «Pour une convergence des consciences», vendredi soir, dans le bel espace André-Jarlan de Rignac, devenu tout à coup trop petit pour l'événement.
Surmonter le trac
Si 800 personnes ont eu la chance d'y prendre place, les 500 autres ayant été placées dans le gymnase attenant, équipé pour l'occasion d'un écran géant qui retransmettait la conférence de Pierre Rabhi, plus de 300 autres demandes n'ont malheureusement pu être satisfaites puisque les places se sont arrachées dès leur mise en vente, une partie du bénéfice étant reversé à la fondation de Pierre Rabhi. à 80 ans, ce dernier est arrivé en fin d'après-midi à Rignac où il a pu se reposer avant de pénétrer à 21 heures précises sur la scène de l'espace André-Jarlan où il a été ovationné. Avant de commencer, il a également salué le public de la salle annexe où tout le monde tendait son téléphone pour immortaliser la rencontre. Et c'est debout, en essayant de «surmonter son trac», comme il le confiait, que ce grand petit homme qu'est Pierre Rabhi a tenu son assemblée en haleine pendant une heure et demie avant de répondre aux nombreuses questions du public. Deux personnes se relayaient à ses côtés afin de traduire ses propos en langue des signes pour une partie de l'assistance malentendante.
Présidentielles de 2002
Devenu «parleur professionnel», comme il se définit lui-même, c'est d'une voix fluide et posée, sans à-coups et sans perdre à aucun moment le fil de ses pensées et de son exposé, que Pierre Rabhi a totalement subjugué son auditoire, la plupart acquis à sa cause, mais pour ceux qui le découvraient, il fut un enchantement permanent. «J'ai aimé ses livres mais l'entendre parler c'est tout de même autre chose», confiait une spectatrice conquise. De Pierre Rabhi, on retiendra son humour : «Du bahut à la boîte on finit dans une caisse», son bon sens : «Personne ne se parle car tout le monde est équipé d'un instrument de communication», son pragmatisme : «Jardiner est un acte politique», son autodérision : «Est-ce que je ne délire pas trop ?», sa culture et son intelligence. Celui qui fut candidat aux présidentielles de 2002 avec un programme appelant à l'insurrection des consciences est un musulman né dans une communauté du désert, orphelin de mère très jeune, adopté par un couple de Bourguignons, chrétien par option puisqu'il a demandé le baptême. «Vous avez affaire à un saint, même si je n'ai pas apporté mon auréole».
Sobriété heureuse
Ouvrier spécialisé en rien mais plutôt homme à tout faire, c'est avec une jeune fille rencontrée au travail, à Paris, qu'il partira cultiver une terre dont personne ne voulait, en Ardèche, où ils élèveront leurs cinq enfants. Pierre Rabhi, qui a fréquenté les philosophes, n'a pas voulu «rentrer dans un ordre des choses qui subordonne l'être humain et confisque la vie». Entre les pesticides et les anxiolytiques, il refuse que l'écologie soit une politique mais une conscience, et prône «l'agroécologie qui prend soin des sols et une sobriété heureuse alors que la société donne plus d'importance à la mort qu'à la vie». Dorénavant, Pierre Rabhi explique se consacrer à la méditation par l'écriture. «Je suis juste un être humain qui se pose des questions depuis longtemps. L'humanité n'est-elle pas elle-même une catastrophe naturelle ?», se demande-t-il. «J'imagine des extraterrestres en train de nous étudier. Ils doivent se dire qu'on a une planète magnifique que l'on détruit et qu'on va provoquer notre propre mort». Le sage Pierre Rabhi en appelle donc à «l'amour, l'énergie qui peut tout changer. Sans la spiritualité, le monde ne peut pas évoluer». Des propos que n'aurait pas reniés François Fonlupt, évêque de Rodez et de Vabres, au premier rang de l'assistance, qui, à l'issue de la conférence, a longuement fraternisé avec Pierre Rabhi. à la fin, tel un sage déifié, certains voulaient simplement le toucher, lui serrer la main, lui dire qu'ils étaient d'accord et qu'ils l'aimaient. Puis Pierre Rabhi a remis son écharpe et disparu dans la nuit. Il a dormi quelques heures sous le ciel aveyronnais avant de reprendre son chemin vers 5 heures du matin. Une conscience éveillée s'en est allée.
Marie-Christine Bessou
La Dépêche du Midi