C'était le thème de la conférence du 15 mai 2017 animée par Bruno Tollon, professeur honoraire d'histoire de l'art moderne à l'université J.Jaures à Toulouse et
Pierre Lançon, bibliothécaire de la Société des Arts et des Lettres de l' Aveyron.
Cette conférence initiée par Rencontres Citoyennes, s'est déroulée au château de Bournazel grâce à l'aimable complaisance de M. et Mme Harlin, propriétaires du château.
Plus de 150 personnes ont manifesté leur intérêt pour cette œuvre majeure de la Renaissance française. Bournazel est le seul exemple aussi remarquable de cette période dans tout le Midi de la France.
Bruno Tollon s'est attaché à montrer l'importance et l'originalité de ce château.
Longtemps oublié et délaissé, il s'est imposé comme un chef d'oeuvre architectural majeur dans l'art occidental grâce aux études fondamentales qui lui ont été consacrées, notamment par B.Tollon, et à l'ambitieuse campagne de restauration voulue par M.et Mme Harlin.
Cette rénovation est source de recherches permanentes menées par le Conservateur des Bâtiments de France, des Archives Départementales, des historiens, des entreprises spécialisées de tailleurs de pierres (entreprise Vermorel à Rodez)
B.Tollon dévoile l'originalité de ce monument, édifié dans les années 1540, par et pour la famille De Buisson, édifice très singulier par son architecture et un décor sculpté exceptionnel. En 1897, Emile Male avait choisi cette formule pour parler du château de Jean De Buisson: « il est beau de sa beauté propre » C'est cette beauté propre, cette particularité que B.Tollon nous fait partager par l'étude de l'architecture, puis des éléments du décor des porches, des fenêtres, des frises, des métopes.
Le plan des façades nord et sud emprunte aux codes antiques romains: la régularité, les symétries, les tympans, les entrées en arcs de triomphe, la fonctionnalité des ouvertures.
Le décor exceptionnel fait de frises superposées, de ressauts de nombreux médaillons reprend les traditions romaines des bustes, des têtes et les allégories du panthéon grec et romain.
Ce château bâti sur l'emprise d'un château féodal (dont il reste les donjons et le plan en cours successives) a été élaboré en plusieurs étapes. D'abord, une aile sud qui constitue le corps de logis principal et un bâtiment d'escalier monumental ( enfoui sous les gravats) et aujourd'hui restauré par une exceptionnelle équipe de compagnons tailleurs de pierres.
Cet escalier donnait accès à de grandes salles superposées et aux appartements des propriétaires dans les tours d'angle. La circulation se faisait par une galerie couverte très inspirée de celles construites par Bramante, en Italie, au XIVeme siècle.
Le décor de Bournazel est spectaculaire grâce à l'habileté des sculpteurs et à la beauté de la pierre. En 1545, date de la construction, les commanditaires de Bournazel adoptent le langage des ordres d'architecture pratiqués par les nouvelles élites proches de la Cour et celles des grandes villes, notamment Toulouse, d'où viennent les De Buisson.
Les ordres doriques et corinthiens organisent les façades sur cour. Trois types d'éléments sculptés retiennent l'attention: les frontons meublés de bustes d'une grande variété, la frise dorique, les bas-reliefs qui ornent les ressauts vigoureux destinés à scander, au droit des colonnes doriques en forte saillie, la longue façade nord.
Les bustes, aux frontons des deux registres de fenêtres et sur les lucarnes, surprennent le visiteur. On les retrouve sur d'autres édifices, à Nîmes (temple de Diane), à Uzès, à Assier. Ces bustes de César en médaillon, dans la cour, sont associés à un nombre inhabituel de figures féminines de la mythologie grecque et romaine (Lucréce,Vénus, Méduse)
Ainsi la littérature historique, épique et mythologique s'invite dans la cour du château pour en faire le lieu le plus ouvertement idéologique .
La pseudo-galerie au caractère triomphal à la manière de Bramante (l'architecte italien célèbre du XIVeme) sur l'aile sud, les frises sud et nord sont d'une telle précision, qu'elles nous assurent que le maître d'oeuvre était familier des vestiges antiques et des trois cités de la Narbonnaise: Arles, Nîmes, Narbonne.
En choisissant ces thèmes guerriers de la mythologie, Hercule, Fortune,Venus. Le seigneur de Bournazel élabore un témoignage d'auto-célébration d'un personnage fier de sa réussite: le témoignage d'un homme vertueux, protégé de Vénus armata et de Fortune, qui, au tournant de sa vie, pense à son lignage et veut construire savamment son image!
Il proposait un portrait du capitaine au service du Roi récompensé par l'Ordre de St Michel.
L'architecture et le décor de Bournazel sont marqués par de larges influences languedociennes.,Ce château échappe donc au contexte régional, au XVIeme siècle, il n'a rien de rouergat. Il est un savant mélange d'influences languedociennes, romaines, grecques,
italiennes; ce qui semble être confirmé par la découverte récente du pavillon d'escalier actuellement en reconstruction
Mais, derrière chaque oeuvre d'art, chaque monument, il y a l'histoire d'artistes, d'architectes, d'ouvriers et d'artisans souvent talentueux. L'histoire d'un château est celle d'une famille, d'un lignage. A Bournazel, les premiers seigneurs portaient le nom de Mancip ou Massip, sans doute originaires de Rodez, depuis 1262. Hugues Mancip, seigneur de Bournazel, entre au service du Roi de France, Louis XI dès 1449; il devient sénéchal de Toulouse de 1461 à 1470. Le Roi lui confie de nombreuses missions, en particulier auprès du pape Pie II à Rome en 1462. Sa petite-fille Charlotte de Mancip épouse le 2 mai 1519, Jean De Buisson, seigneur de Mirabel et de Roussennac. Ce dernier était issu d'une riche famille de marchands et banquiers de Toulouse. C'est par ce mariage que la seigneurie de Bournazel passe des Mancip aux De Buisson. Jean De Buisson recueille le riche héritage des Buisson de Toulouse et c'est la principale source de financement du château de Bournazel.
Jean De Buisson abandonne Toulouse dans les années 1530, il s'installe en Rouergue, tout en s'engageant dans la carrière des armes. Il est fait Chevalier de l'Ordre du Roi, par François Ier en 1544. Jean De Buisson testa le 29 mars 1570 (mais il vit encore en1575)
Il nous a laissé avec son épouse, Charlotte de Mancip, ce joyau qu'est le château de Bournazel.
Comment vivait-on à Bournazel, au XVIème, XVIIeme siècles? Il reste très peu de témoignages de cette période, pas d'archives.
Cependant, Pierre Lançon livre l'état de ses recherches, et fait revivre ce château en développant quatre focus:
1: inventaire du château en 1710, après le décès de Raymond de Buisson.
Cet inventaire assez exhaustif a été long et méticuleux. Le marquis partage ses biens entre ses 5 enfants, mais il se montre aussi généreux envers les pauvres de Bournazel. Le cadre de vie est très humble: peu d'objets répertoriés, quelques meubles, de nombreuses tapisseries dans un état déplorable, pas de bibliothèque ni d'oeuvres d'art (2 portraits de famille)
2 : étude du personnel du château dans la dépouillement des registres paroissiaux du XVIIIeme de Bournazel (1738-1789)
Les gens de maison sont peu nombreux, souvent originaires du lieu. Quelques personnes sont extérieures au village et ont des emplois plus spécifiques: meunier, jardinier, prêtre et sont plus proches du marquis.
3 :pillage du château en 1790
Ce moment fort de l'histoire de Bournazel a été étudié et très documenté. Il est un épisode révolutionnaire en Rouergue.
Les habitants de Bournazel brûlent les bancs du marquis à l'église, puis veulent récupérer les archives seigneuriales où sont consignées les taxes et les redevances (les privilèges ont été abolis dans la nuit du 4 août 1789). On connaît les protagonistes de cette dramatique insurrection (il y a eu un mort), ils seront condamnés en 1791. Les archives seront portées à Rodez
4 : redécouverte du château au XIX et XXeme siècles
Longtemps ignoré, Bournazel est redécouvert au début du XIXeme. Un écrit du Baron de Gaujac dénonce le vandalisme révolutionnaire en 1819. En 1836, la venue du peintre Pernot le révèlera au public féru d'histoire et d'archéologie. A partir de 1851,l es visiteurs sont de plus en plus nombreux, et le site de Bournazel est inscrit comme site à ne pas manquer à partir de la gare d'Auzits. Il devient un but d'excursion et d'étude pour de nombreuses sociétés savantes, et reçoit les congrès nationaux des sociétés archéologiques. Ainsi en 1897, Rodin découvre le château, conduit par M.Fenaille. En 1937, le Congrès archéologique de France se tient à Bournazel.
Racheté en 2008 par M.et Mme Harlin, avec la contribution des architectes, des artisans spécialistes de restauration et des historiens passionnés comme P.Lançon et B.Tollon, le château de Bournazel est en pleine Renaissance.